Mathilde, une passionnée des plantes

Mercredi 14 Octobre 2020
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Mathilde, une passionnée des plantes

Mathilde BUGEAT a 28 ans. Longtemps partagée entre deux passions, l’écologie et l’agriculture, elle souhaite aujourd’hui concilier les deux en produisant des PPAM (Plantes à Parfum Aromatiques et Médicinales).


Mathilde a commencé avec un parcours erratique. Arrivée au brevet, elle a commencé à être déprimée par les études.

« J’avais le sentiment que je n’arriverai à rien, donc je voulais travailler avec les chevaux. Mes parents m’ont dit que je pouvais faire ce que je voulais, à condition d’avoir un bac. J’ai donc fait un bac STAV (Sciences et Techniques de l’Agronomie et du Vivant) option hippologie/équitation, ou comme je l’appelle le bac option poney. C’était un bac qui orientait plutôt vers une voie professionnelle comme un BTS agricole ou ce genre de choses. Là j’ai rencontré une prof de bio avec qui on passait pas mal de temps car elle était aussi ma prof principale et ma prof de physique-chimie, et ça a été le coup de foudre avec cette femme. Elle m’a fait aimé la biologie à un point incroyable, donc après mon Bac je voulais faire de la bio. J’ai eu de la chance, elle m’avait même emmenée aux portes ouvertes de l’université d’Orsay, et j’en suis tombée amoureuse donc j’ai fait la fac d’Orsay en banlieue parisienne. J’y ai fait une licence de biologie puis au fur et à mesure je me suis orientée vers l’écologie et j’ai terminé par un master spécialisé en ingénierie écologique, et je me suis spécialisée dans l’étude des sols, en particulier des sols forestiers. Ça c’était mon pied très académique on va dire, mais de l’autre côté, j’ai de la famille dans le milieu agricole et j’avais pas mal de mes amis de bac qui sont partis dans le monde agricole. Par exemple, il y en a une qui fait de l’élevage de chevaux, il y a des horticulteurs aussi, quelques maraîchers et dans ma famille j’ai des éleveurs laitiers dans le Limousin donc j’avais aussi cette thématique agricole sous-jacente. »

« Je ne savais pas comment concilier cette thématique agricole avec mon côté très écologique et je ne me voyais pas faire 100 % l’un ou 100 % l’autre. Donc j’étais un peu perdue. En sortant de master, je trouvais soit des thèses qui n’ont finalement pas abouties, soit des postes dans le milieu associatif qui me demandaient d’avoir au moins 5 ans d’expérience naturaliste. Le problème, c’est qu’il faut bien pouvoir se faire l’expérience à un moment. Du coup, j’ai pas mal vivoter et pendant ces années de chômage, je me suis beaucoup posé de questions, « est-ce que j’ai vraiment envie de faire de l’écologie pure, en labo ? », « Qu’est-ce que j’ai vraiment envie de faire ? ». »

Mathilde se souvient que c’est finalement par le biais des plantes qu’elle a commencé à s’intéresser à l’écologie.

« C'était un cours de bac où on allait se promener et il fallait reconnaître quelques plantes sauvages et j’ai gardé un lien avec les plantes tout au long de ma formation scolaire, jusqu’au master. Après, je me suis rendue compte qu'on pouvait manger les plantes sauvages qu'on croisait et je me suis dit "bingo on est même pas obligé de s’embêter à cultiver des légumes", bon, toutes proportions gardées car évidemment, il en faut mais c'est tellement riche de se dire qu'en allant se promener on peut se nourrir et de bonne qualité. Les plantes sauvages contiennent beaucoup de minéraux, d'oligoéléments. Elles sont plus riches que nos plantes cultivées, et ont des saveurs qu'on ne connaît pas pour la plupart. Après ce sont les goûts et les couleurs, mais elles offrent un panel très différent et complémentaire avec ce qu'on peut trouver en supermarché. Pendant mon master, j’ai donc eu ce truc là, en autodidacte "ah ben tiens on peut faire ça je vais regarder, ah ben tiens cette plante là on peut la manger, je vais goûter comme ça, je vais goûter autrement". » Donc j’ai fait beaucoup de formations et c’est là que j’ai fait l’école d’herboristes à Paris, qui s’appelle « L’école des plantes de Paris ».

« En même temps, j'ai fait des stages de permaculture dont le CCP (cours certifié de permaculture), j'ai fait des stages de sciences naturalistes et je me suis vraiment spécialisée dans des domaines très précis, comme la reconnaissance des oiseaux, l'ornithologie. J'ai aussi trouvé un service civique au parc naturel régional de l'Avesnois à Maroilles. J'y ai fait de l'animation nature et c’était passionnant car j'avais accumulé beaucoup de connaissances, et la partager devenait presque nécessaire. En plus, l'Avesnois est un milieu très agricole et vu qu'un service civique c'est 24h par semaine, j'avais peur de m'ennuyer donc j'ai négocié un wwoofing. Je travaillais 24h au parc et le reste du temps, je travaillais pour les agriculteurs qui me logeaient, c'étaient des maraîchers. Donc j'ai fait 6 mois de maraîchage/animation nature au sein d'un territoire que j'ai très vite intégré et je retrouvais à la fois cette thématique agricole qui me plaisait beaucoup et le côté naturaliste. Par contre, je me suis rendue compte qu’en étant dans le domaine naturaliste pur on pointe un peu les agriculteurs du doigt "l'agriculture c'est quand même ce qui fait qu'on perd le plus de notre diversité d'insectes, d'oiseaux, etc..." et que de l'autre côté, du côté agricole, on pointe les naturalistes du doigt car ils demandent d’arrêter certaines pratiques, sans pour autant donner de réelles solutions, donc les agriculteurs font comme ils peuvent. »

Tout au long de son parcours, Mathilde a donc cherché à concilier ses passions pour le monde agricole et pour le monde naturaliste. Et c’est finalement en travaillant avec les plantes qu’elle s’y retrouve le mieux.

« Les plantes me suivent depuis longtemps, j'aime les plantes et j'aime être en leur présence, j'ai réellement un respect pour le végétal. Quand je vois les polémiques concernant le fait de manger de la viande ou non, j’ai du mal à comprendre. Je passe mon temps à la fois avec les animaux et les végétaux, et j'ai un respect pour le vivant de manière générale. Donc j'ai du mal à comprendre le clivage entre les deux. Surtout qu'on se rend bien compte en côtoyant le végétal qu'il y a des espèces plus ou moins sensibles, résistantes, j'ai presque envie de dire, avec leur caractère même si c'est un peu de l'anthropomorphisme.

J'aime aussi le côté magique des plantes, bien que cette magie se soit perdue. D’ailleurs, si tu fais des préparations, des sortes de potions, ça fait un peu de toi une sorcière et j'aime beaucoup cet imaginaire, ce que ça rappelle. J’adore aussi le fait qu'elles soient super puissantes, on ne se rend pas compte en fait, mais quand on se promène, on a un tapis de plantes qui pourraient nous aider. Pour moi c'est vraiment la synergie du vivant donc voilà pourquoi j’ai choisi de produire des PPAM (Plantes à Parfum Aromatiques et Médicinales). »

Ce projet d’installation agricole, Mathilde le nourrit depuis longtemps. Il a d’abord été question de s’installer avec sa meilleure amie qui est dans le monde du cheval et de créer un éco-lieu mêlant un côté thérapie et loisir autour du cheval, un côté bien-être et culturel et un côté production de plantes et de fleurs que Mathilde aurait géré.

« Il y a eu un moment où je me suis dit que ce projet n'existait pas qu’entre nous deux mais qu’il avait aussi du sens pour moi au-delà de notre amitié. J'ai fait une expérience en bureau d'études naturalistes où je faisais des inventaires d’oiseaux, de flores, d'habitats (les flores lorsqu'elles se rassemblent forment des habitats dans lesquels on est susceptibles de retrouver plus ou moins d'espèces protégées), d’amphibiens, de chauve-souris. J'ai adoré travailler dans ce bureau d'études. Déjà, pour des raisons très personnelles d'égo, car c’est compliqué d’entrer en bureau d’études donc j'étais très contente qu'on reconnaisse mes compétences et qu'on me prenne pour ça. J'ai aussi beaucoup aimé l'ambiance de travail et le rythme : aller me promener, voir le lever du soleil, compter les oiseaux... C'était cool. Mais même si le rythme de vie me plaisait, le sens de pourquoi je le faisais manquait cruellement. Car tous ces inventaires sont en réalité obligatoires si tu as un projet de construction d'autoroutes ou d'immeubles par exemple. Le promoteur est légalement obligé de faire une étude d'impacts donc il paye un bureau d'études qui vient faire l'inventaire. Sauf qu'après, une fois l’inventaire fait, et même si on repère des espèces ou des habitats à protéger, légalement, il n'y a plus de levier d'actions. Si le promoteur décide de quand même tout raser, il peut le faire. Il suffit qu'il fasse faire un papier, la dérogation de destruction d'espèces protégées, et qu’il paie. Et en fait, dans tout ça, moi je ne m'y retrouvais pas du tout. J’avais l’impression que ça ne servait à rien et j’avais le sentiment de donner une couverture verte et bonne conscience à tous ces gens-là qui augmentent l'urbanisation. Après il y avait d’autres choses plus sympas, mais la majorité du travail, c'était ça. Et c'est là que j'ai eu le déclic, que je me suis rendue compte que j’avais besoin de sens, d'avoir le contrôle de mon rythme, de m'écouter plus aussi. Les jours où je n'ai pas envie de me lever, je ne me lève pas, mais les jours où j'ai envie de me lever aux aurores et de faire une journée de 12 heures, je veux pouvoir le faire en fait. Pouvoir reprendre du pouvoir sur ma vie tout simplement. Donc c'est là que je suis passée à l'étape BPREA (Brevet Professionnel de Responsable d’Exploitation Agricole).

Pour l’instant, j’ai donc décidé de mettre de côté mon travail en bureau d’études, et j’ai choisi de m’installer. Je prévois d’y revenir à mi-temps mais je souhaite d’abord prendre le temps nécessaire à mon installation. J'avais vraiment besoin de mener un projet agricole quel qu’il soit, pour ancrer mes racines. J'ai besoin de laisser une trace sur cette terre, j'ai besoin de me donner un sens aussi. J'ai essayé un peu de maraîchage, avec le woofing, et j'ai fait un BPREA en maraîchage biologique car c'était le plus proche de chez moi. Ceux qui proposaient l'option PPAM étaient beaucoup plus loin et c’était plus compliqué à mettre en œuvre car j'ai pas mal d'animaux. Ce sont des contraintes que j'ai choisi avec joie mais je ne pouvais pas m'éloigner de trop. »

Le BPREA a permis à Mathilde de se former dans les domaines de la fiscalité, la comptabilité, le management, la commercialisation et la gestion notamment. Elle a aussi pu se rendre compte de l’importance du réseau.

« Il y avait des gens tous aussi extraordinaires les uns que les autres, avec des projets très différents, d’envergures différentes. C’était très encourageant de se rendre compte qu’on est pas tous seuls, mais avec le réseau qu’on a tissé. »

Son projet, Mathilde ne l’imagine pas isolé, mais plutôt au sein d’un collectif.

« L'essence même de mon projet agricole est collectif, il n'a de sens que dans le collectif. Déjà parce que c'est pour moi la seule solution avec laquelle on va s'en sortir. Cela permet d'être complémentaires, de chercher la résilience, et de s'aider, aussi bien psychologiquement, pour ne pas se sentir seul, que physiquement, en se rendant des services en fonction des périodes de rush. Pour moi, ça n’a pas de sens de s’installer tout seul, c’était évident de m’installer en collectif. »

Et pour son installation et son projet agricole, Mathilde a de nombreuses idées, qui se concrétisent de plus en plus.

« Dans un collectif, je pense que la plante peut créer du lien. A la fois physique et esthétique, mais aussi dans la commercialisation. Pour moi, la plante elle a ce pouvoir de s'associer à tous les autres types de cultures et les valoriser dans les produits finis. Par exemple, on peut aromatiser des confitures avec les plantes ou si avec les légumes on fait de la ratatouille, on peut très bien mettre des aromates. On peut faire du miel aux fleurs aussi, ça a tellement de sens que je n'ai même pas besoin d'en parler, donc voilà c'est cette idée que les plantes soient le fil rouge au milieu de diverses productions.

Une grosse partie de mon projet sera dédié à la cueillette sauvage car j’aime plus que l’aspect production. Je vais quand même produire certaines plantes qui le méritent je dirais, comme la verveine citronnée par exemple. Mais il y a vraiment beaucoup de choses qui peuvent se faire en cueillette sauvage. A terme, ce travail sera même réalisé à l’aide du cheval. J’ai un cheval de trait qui est dressé pour l’attelage. Au début, je m’empêchais, en quelque sorte, d’intégrer ma jument dans mon projet, mais je me suis finalement rendue compte que mon lien au cheval était important et je souhaite le valoriser. »

Pour commercialiser ses produits, Mathilde a diverses idées.

« J'aimerais vendre de différentes manières, en tisane et en produits mélangés comme je l’expliquais, mais j'aimerais aussi faire des sels, des hydrolats, des macérats huileux, même de l'alcool à base de plantes, de la liqueur. Il faudrait faire quelque chose d’assez fort quand même, sinon les principes actifs des plantes ne sont pas extraits. Je m’imagine déjà avec l’alambic dans la calèche pour aller directement faire la distillation sur les lieux de récolte.

J’aimerais aussi travailler avec des restaurateurs pour les fleurs comestibles car ils sont certainement en recherche. Le problème avec les fleurs, c’est qu’il faut les cueillir le matin et les livrer tout de suite. Donc il faut que j’étudie la faisabilité de ce projet. J’aimerais vraiment pour ça, que la fleur soit valorisée et que ça ne soit pas juste trois pétales pour décorer. »

Lorsque j’ai demandé à Mathilde si elle avait déjà rencontré des difficultés ou connu des avantages du fait d’être une femme dans le monde agricole, elle m’a tout d’abord parlé de sa formation.

« Au lycée, le côté discriminant était très marqué. Lorsque j’ai fait mon bac STAV, les filles étaient forcément là pour les poneys et les garçons pour les gros tracteurs, si je caricature. Moi je ne savais pas trop ce que je voulais faire donc je ne l’ai pas forcément mal vécu. Mais j’avais un copain qui faisait du cheval, le seul au milieu d’un groupe de filles, et qui était très moqué, et une amie qui voulait travailler dans la filière céréalière et c’était plutôt mal reçu. D’ailleurs, le sex ratio était très marqué selon les filières. En filière générale c’était plutôt équilibré, en poney, il n’y avait que des filles et dans les autres filières plus agricoles, il n’y avait que des mecs.

En BPREA aussi, on a eu beaucoup de réflexions négatives, notamment sur les micro-projets agricoles, et qui étaient exacerbées si on était une femme. C’était des commentaires comme « ah tu n’arrives pas à porter une caisse pleine et tu veux t’installer » ou des trucs du genre « ah ben oui les machines faut être musclé » comme si une fille ne pouvait pas l’être, musclée…

Depuis que je travaille, j’ai déjà eu des remarques comme « si tu fais un truc physique je vais venir t’aider » mais ce sont des remarques assez communes qu’on ne peut pas imputé qu’aux personnes qui me l’ont dit et ça ne freine pas mon projet pour autant.

Et finalement, je ne sais pas si c’est lié à mon genre ou à mon projet en lui-même, mais certains hommes ne semblent pas prendre au sérieux mon installation sur petite surface et à mi-temps. Pour certains, le ton paternaliste arrive... »

Mathilde en pleine cueillette!

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Commentaires :

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  • Alexane dit :
    17/10/2020 à 23h 59min

    Super article, très enrichissant. Merci beaucoup.

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