Amandine, pépiniériste et créatrice de TerrAttitude

Dimanche 10 Mai 2020
Amandine, pépiniériste et créatrice de TerrAttitude

Amandine TOULZA a grandi dans le Tarn-et-Garonne. Âgée de 33 ans, elle est depuis 9 ans cadre dans une pépinière de plants maraîchers destinés aux professionnels dans le Gard et elle a créé le blog TerrAttitude en octobre 2018.


Les parents d’Amandine avaient, lorsqu’elle était petite, un petit élevage de veaux en batterie, car à l’époque cela se faisait beaucoup. « Les veaux venaient d’Espagne et d’Italie et étaient amenés jusqu’au Sud-Ouest. Ils étaient élevés à la ferme, nourris au lait et ils repartaient. Mes parents ont arrêté, car ils n’arrivaient pas à en vivre et ils recevaient des animaux d’Europe, pas très en forme, il y avait parfois même des veaux morts lors des trajets donc ils ne trouvaient pas cela cohérent et humain.

C’était très difficile d’en vivre et d’élever des enfants avec de bas salaires. Donc ils ont fermé la ferme et ont commencé à travailler à l’extérieur. »

Être agricultrice, Amandine n’y a pas été encouragée. Sa mère, notamment, ne souhaitait pas qu’elle travaille dans l’agriculture. Et ce n’était pas la seule… Dans son village d’enfance dans le Tarn-et-Garonne, tous étaient issus de familles d’agriculteurs. Pourtant, la plupart des jeunes se sont dirigés vers d’autres métiers et d’autres domaines. Amandine se souvient que seuls quelques garçons voulaient travailler dans l’agriculture et elle pensait qu’ils allaient « galérer pour pas grand chose ».

« Nos parents ne voulaient pas qu’on revive ce qu’ils avaient vécu, ils voulaient qu’on fasse des études, pour avoir une vie meilleure »

Suivant les conseils de sa mère, Amandine a suivi des études. Amandine voulait voyager, découvrir le monde, elle a choisi le tourisme, elle est partie vivre un an à San Diego en Californie puis elle a voyagé pour travailler son anglais. Ensuite, elle devait faire une licence professionnelle dans le commerce, mais cela ne lui plaisait pas donc elle a commencé à travailler à la pépinière, Fraunié Plants. Et effectivement, cela n’a pas toujours été simple mais cela a été formateur.

Fraunié Plants est une entreprise appartenant à la famille du compagnon d’Amandine, Jean, implantée à l’origine à Lauzerte dans le Tarn-et-Garonne. Puis, Amandine et Jean ont développé le site déjà existant à Le Cailar dans le Gard. Tous les deux cadres et gérants du site, ils ont cependant des tâches différentes.

« Mon compagnon s’occupe des plants de melon, donc essentiellement de gros volumes destinés aux maraîchers qui vendent à la grande distribution principalement. Et moi, ce sont les petits volumes, la diversification tomates, poivrons, pastèques, aubergines, courges, courgettes, concombres, salades, fleurs comestibles, aromatiques pour les maraîchers principalement en vente directe. Quand je suis arrivée à la pépinière, j’ai développé ce secteur-là. Ce qui est intéressant, c’est de savoir que nous avons évolué en même temps que certains clients. »

Bien qu’aujourd’hui, ils soient en permanence dans le Gard, il n’en a pas toujours été ainsi.

« Au début, quand on a commencé, le site du Gard était très peu développé. C’était difficile, car on bougeait beaucoup, on était dans le Gard pour la pleine saison, de février à juin et ensuite on repartait travailler dans le Sud-Ouest. C’étaient deux rythmes différents, car ici on était maîtres de l’organisation et du travail et là-bas on devait adopter d’autres méthodes. On les aidait à terminer leur saison. Moi j’allais épauler à la préparation des commandes, au nettoyage et au rangement des serres, à l’administratif et Jean lui s’occupait des céréales, du bricolage. Pendant plusieurs années, on a fait ça. Ensuite, le père de Jean a créé un troisième site de production au Maroc, nous y sommes allés quelques fois, quinze jours par-ci, par-là, pour aider à la mise en place, l’installation du matériel. J’ai participé à la pose de l’électricité, de la brumisation des serres pour les greffés… C’était un rythme intense, tous ces déplacements. »

Amandine a également connu des situations déstabilisantes du fait d’être une femme dans le monde agricole.

« Quand je suis arrivée, mon copain était dans le Gard depuis deux ans. Nous avons une clientèle majoritairement masculine et souvent au début les gens disaient “Je veux parler au patron”. J’avais beau leur dire la même chose que Jean, ils voulaient parler au patron.

Aujourd’hui nous avons des secrétaires au bureau et encore maintenant, il y a des clients qui préfèrent appeler directement Jean sur son téléphone portable plutôt qu’au bureau. Donc ça, c’est vrai qu’au début, avec tous les efforts que je faisais, ça m’a un peu pesé.

Maintenant je me suis habituée. Jean, par contre, c’est quelqu’un d’intelligent donc à chaque fois il expliquait au client que c’était moi la patronne aussi, mais il a fallu quand même poser les choses. C’est un milieu masculin et parfois il ne faut pas se laisser marcher sur les pieds. Moi qui étais très timide, j’ai découvert une autre facette de ma personnalité que je ne connaissais pas. Au début on ne dit rien, mais parfois ça pète. Sinon il y a des clients qui sont vraiment très bien, mais il faut quand même s’imposer. »

Plus jeune, Amandine était quelqu’un de très timide qui avait du mal à s’exprimer. Quand elle est entrée dans le monde du travail, elle n’a pas tout de suite trouvé sa place et s’est renfermée. Fin 2017, début 2018 elle a connu un épuisement physique du fait notamment de très grosses journées de travail à la pépinière. Ses journées commençaient la plupart du temps en saison à 5 h ou 6 h pour finir à 21 h voire 22 h.

« J’ai malmené mon corps et mon mental. Pendant 7 ans, je n’ai fait que travailler. J’aimais bien ce que je faisais, mais j’étais très exigeante avec moi-même. Je travaillais à la fois en bureau et en serre. Mon corps, et c’est normal, à un moment donné, a dit stop. Je me souviens, j’avais besoin de repos en janvier 2018, mais ce n’était pas possible d’avoir même que deux jours de repos parce qu’on était en saison. »

Amandine a pu faire appel à l’association Solidarité Paysans« Je les avais contactés, car à un moment donné ça n’allait pas trop et ils ont été là. C’est dommage que cette association ne soit pas mise encore plus en avant, heureusement qu’Édouard Bergeon en a parlé (réalisateur du film "Au nom de la terre"), mais moi je sais qu’ils m’ont aidé à garder le cap, même ne serait-ce que moralement à continuer mon projet, à m’orienter vers telle ou telle personne. J’ai rencontré des individus aussi hors contexte professionnel qui m’ont expliqué que je pouvais être tout aussi efficace en déléguant et en essayant de prendre du temps pour moi. Car mieux je vais me sentir dans mes baskets, mieux je vais bosser. »

L’association Solidarité Paysans aide notamment les agriculteurs à fermer leurs entreprises. Ils aident aussi les paysans qui à un moment donné connaissent quelques difficultés afin que cela n’empire pas, en leur proposant par exemple de se tourner vers d’autres méthodes de production, d’autres solutions de vente.

« Il y a vraiment un travail qui est fait et, surtout, il y a des bénévoles impliqués. Cette association va être reconnue d’utilité publique, mais c’est vrai que depuis le temps, elle aurait déjà dû l’être. Ça fait des années qu’on en parle, depuis que je suis adolescente, on parle du mal-être paysan, j’avais déjà entendu parler à l’époque notamment des secteurs laitiers ou de la viande, car ce sont ceux qui sont le plus impactés et depuis plus longtemps. Tout le monde sait qu’en France qu’il y en a des agriculteurs qui gagnent 300 ou 500 euros par mois et personne ne fait rien. Je trouve ça vraiment dingue, égoïste, inhumain. Dans le milieu agricole, l’échec, comme dans d’autres secteurs, est mal vu. Le problème, c’est que dans la situation où est l’agriculture, c’est normal qu’il y ait des échecs. Peut-être que pour les nouvelles générations cela va aller mieux. J’espère que le dialogue et surtout le contexte agricole vont changer. »

Au même moment, en 2017, Amandine entendait beaucoup de choses négatives sur l’agriculture dans les médias. « Avec tous les sacrifices que les agriculteurs font, les sacrifices que moi j’ai faits, je me suis dit que c’était dommage que les gens racontent des choses pas justes, pas honnêtes, et qu’on laisse faire. Donc je me suis dit qu’il fallait expliquer aux consommateurs, leur parler d’agriculture, leur montrer que ce n’est pas si simple. Je sais qu’il y a des choses dans l’agriculture qui ne sont pas logiques, au niveau industriel notamment, mais les agriculteurs n’y sont pour rien non plus, on leur a dit de faire comme ça, ils n’avaient forcement pas le choix. »

Concernant le contexte économique difficile, Amandine voit plusieurs pistes d'amélioration.

« Il faudrait qu’il y ait un prix juste, éviter qu’il y ait de la surproduction. Il faudrait aussi qu’en France, il n’y ait que des produits français. Cela ne sert à rien qu’il y ait des produits qui viennent d’Espagne ou d’Italie, surtout quand c’est la pleine saison. C’est un peu différent pour les mangues ou les noix de cajou par exemple, car on n’en produit pas, mais bon en même temps, ce n’est pas vital. »

Un rythme intense, éprouvant, un manque de reconnaissance, et un contexte compliqué et on peut se demander « Pourquoi faire le choix de l’agriculture alors ? Pourquoi être agricultrice ? ». Et bien pour Amandine, c’était son destin.

« Je m’y plais et finalement si un jour j’arrête de travailler à la pépinière de plants maraîchers, je ne me vois pas faire autre chose. Je trouve que c’est un métier noble, c’est vraiment dommage que cela ne soit pas assez encouragé par l’État et par l’Europe. Je trouve ça noble de pouvoir produire l’alimentation des citoyens et en faisant ça dans les règles pour préserver l’environnement et respecter l’homme. J’espère qu’un jour ça va changer, que les mentalités vont changer, que le gouvernement va aider les paysans ».

Sa situation personnelle et ces constats ont donc poussé Amandine à lancer, en octobre 2018, le blog TerrAttitude pour parler de l’agriculture de façon positive et pour informer les consommateurs.

Car nous les consommateurs, ou consom’acteurs comme Amandine nous appelle, nous avons un rôle à jouer.

« En tant que consommateurs, nous avons pris de mauvaises habitudes. On a perdu, avec toute cette abondance, la notion des choses. Quand j’étais plus jeune, même moi en venant du milieu agricole, quand j’achetais des aliments ou des vêtements, je ne faisais pas attention à l’origine. Maintenant, depuis quelques années, je fais attention et je ne prends que du made in France. J’évite aussi de prendre des fruits et légumes en grande surface sauf si vraiment je n’ai pas le choix. Je respecte les saisons et je ne veux pas du hors-sol. Mais il faut que le consommateur soit plus sensibilisé, qu’il comprenne qu’il ne peut pas manger tout quand il veut. Si en hiver il veut des tomates, il faut que le consommateur se dise “Non je ne prends pas de tomates”. On n’est pas parfaits, mais il faut que tous on fasse au mieux. »

Depuis 2018, TerrAttitude a évolué et Amandine s’est entourée d’une équipe ayant des compétences dans les domaines de la communication ou de l’illustration notamment, et de nouveaux projets sont nés.

Tout d’abord, du fait de naissances dans son entourage, Amandine a eu l’idée d’écrire des livres en collaboration avec Célia Bornas pour l’illustration.

« J’ai voulu transmettre mes connaissances. Avant même de travailler dans l’agriculture, je ne connaissais pas toutes ces variétés, je connaissais mal mon alimentation tout simplement.

Je me suis dit qu’il fallait expliquer aux enfants de manière simple tout cela, la saisonnalité, les variétés différentes, la vie dans le potager…

Dans le livre “Louise à la découverte des tomates”, j’explique les variétés qui existent, aborde le développement de la plante… Par exemple la tomate jaune carrée, on n’en voit pas, mais ça existe. Il y a des variétés de tomates bleues, violettes, des variétés en forme de poire. C’est un héritage génétique et gustatif que la nature a donné. Aujourd’hui il y a beaucoup de semences hybrides, mais il ne faut pas oublier que ces semences, à la base, viennent de la nature : les graines paysannes. Il ne faut pas que cela se perde et je veux que les gens connaissent aussi le goût des semences paysannes et de nombreuses variétés, car au final elles ont des textures, des saveurs différentes. »

Amandine a écrit aussi "Louise à la découverte des carottes" pour expliquer « qu’elles peuvent avoir des formes rigolotes, mais que c’est aussi bon, qu’on peut manger les fanes en repas et qu’il y a des carottes de diverses couleurs avec des goûts différents. »

Amandine et l’équipe de TerrAttitude ont un autre projet.

« En mai on lance une application. J’ai eu cette idée-là quand j’ai fait le blog en octobre 2018. Depuis 2019 on est dessus, on a rencontré des producteurs dans notre entourage et dans des salons. C’est une application sur les circuits courts. Elle s’appelle “TerrAttitude manger pré de chez vous”. C’est nous qui rentrons toutes les informations nécessaires aux consommateurs des producteurs dans l’application, cela a pris énormément de temps. Et c’est mon compagnon et moi-même qui finançons notre projet.

J’ai démarché de nombreuses personnes pour leur présenter mes projets et échanger sur l’agriculture. Ce ne fut pas toujours évident, car certains n’en avaient que faire. C’est d’ailleurs dommage que, pour obtenir un rendez-vous avec l’administration agricole, cela prenne un an alors que le contexte agricole est compliqué et qu’il n’y a pas d’écoute.

Je pense qu’il en est de même pour tous ceux qui portent des projets, créent leur entreprise. Si vous n’avez pas les bonnes connaissances, ou du piston, c’est très laborieux.

Cela ne nous a pas arrêtés et nous avons poursuivi notre chemin, seuls, petit à petit. »

En travaillant sur le référencement du blog, Amandine a même essuyé des refus du fait qu’il s’agissait d’un blog sur l’agriculture : « je lui ai expliqué mon projet et il m’a dit poliment qu’il ne voulait pas travailler avec moi, car “l’agriculture, en ce moment, avec les questions environnementales, c’est compliqué.” Par la suite j’ai trouvé une entreprise qui s’est occupée du référencement et qui travaille dans le milieu marin.

À ce moment-là, je me suis dit “bon il y a la place pour TerrAttitude pour expliquer, faire bouger les mentalités”. »

Malgré ces obstacles dans la réalisation de ses projets, Amandine sait qu’ils sont utiles et garde espoir. « Même si parfois, je suis comme tout le monde, j’ai des petits coups de blues, de fatigue avec le travail à la pépinière plus TerrAttitude. J’essaie de me dire que ça peut aider quelques personnes et, au fond de moi, si je ne le fais pas, je ne me sentirai pas accomplie, vide. J’avoue je n’accorde pas beaucoup de place pour ma vie privée. »

Elle ajoute: « Derrière chaque refus, ou échec, c’est un tremplin pour avoir mieux par la suite même si ce n’est pas agréable sur le moment. La vie n’est pas un long fleuve tranquille, il faut sans cesse se battre, travailler, se remettre en question. Une amie m’a dit que la vie, c’est une danse sous la pluie ».

Les livres vont être vendus sur Ulule, mais Amandine a aussi une autre idée.

« Si ma campagne arrive au bout, j’aimerais donner une partie de la recette à Solidarité Paysans. Je me dis que, quand il y a des enfants au milieu de situation, de détresse morale, physique financière, ils subissent malheureusement cette situation. Quand j’étais petite, heureusement qu’il y avait des associations, des personnes qui étaient là, pour aiguiller mes parents lors de la fermeture de leur ferme.

Ma mère m’a raconté récemment qu’à l’époque, alors que je dessinais un soleil, l’assistante sociale lui avait dit “Si je peux vous redonner un peu de soleil dans votre vie, c’est déjà bien.” »

Aujourd’hui, Amandine rend la pareille et espère redonner un peu de soleil aux familles d’agriculteurs…



Retrouvez plus d'informations sur TerrAttitude en cliquant ici!

Partagez sur les réseaux sociaux

Catégories

Autres publications pouvant vous intéresser :

Commentaires :

Laisser un commentaire
Aucun commentaire n'a été laissé pour le moment... Soyez le premier !
 



Créer un site
Créer un site